(...) Une explication particulièrement simple me vint à l'esprit en ouvrant un atlas de répartition des vertébrés actuels : la carte de répartition des chimpanzés et des gorilles montrait un vaste ensemble de territoires qui recouvrait toutes les grandes régions forestières de l'Afrique tropicale, mais s'arrêtait, presque sans débordement au grand sillon de la Rift Valley (...) ; de surcroît, tous les sites antérieurs à 3 millions d'années se trouvaient à l'Est de ce sillon. Pour expliquer à la fois que les hominidés et les panidés* étaient moléculairement proches (c'est à dire qu'ils avaient un ancêtre commun peu éloigné à l'échelle de la vie), mais que, sur le terrain, ils ne coexistaient pas, il n'y avait qu'une solution : les hominidés et les panidés n'avaient jamais été ensemble. Je proposai donc l'hypothèse suivante en 1982 : avant que les hominidés et les panidés ne se séparent, la Rift Valley ne constituait pas un accident suffisant pour diviser l'Afrique équatoriale ; de l'océan atlantique à l'océan indien, forêts et savanes boisées ne constituaient qu'une province biogéographique homogène où vivaient les ancêtres communs des futurs hominidés et panidés. Puis, il y a 8 millions d'années, une crise tectonique provoqua deux mouvements : un effondrement (la Rift Valley réactivée) et un soulèvement (la ligne des crêtes de la lèvre occidentale de la Rift occidentale). Gouffre et muraille perturbèrent certainement la circulation des masses d'air ; celles de l'Ouest maintinrent, grâce à l'Atlantique, un régime généreux de précipitations ; celles de l'Est, se heurtant en outre à la muraille du plateau tibétain, également en cours de soulèvement, en un système saisonnier, qu'on a nommé moussons. La grande province d'origine se divisa en deux, aux climats et aux couverts différents : L'Ouest resta humide, l'Est le devint de moins en moins ; l'Ouest conserva sa forêt et ses bois, l'Est devint une savane de plus en plus claire. La population des ancêtres communs des hominidés et des panidés se trouva donc divisée en une population occidentale, la plus grande, et une population orientale, plus réduite. Il est tentant d'imaginer que cette séparation est la cause de la divergence des deux groupes : les descendants occidentaux de ces ancêtres communs ont poursuivi leur adaptation à la vie en milieu arboré et formé les panidés ; les descendants orientaux des mêmes ancêtres ont « inventé » un équipement nouveau pour s'insérer dans la vie en milieu découvert et engendré les hominidés. Cette hypothèse simple a l'avantage d'expliquer pourquoi les hominidés et les panidés sont si proches et jamais ensemble ; (...).