L'évolution apparaissait ainsi comme un processus plus ou moins linéaire et continu résultant de mutations qui modifiaient la qualité des protéines. Les mieux adaptées parmi les formes mutantes étaient favorisées par la sélection naturelle. Quant à l'accroissement de la complexité qui accompagne l'évolution, il était le fruit d'une addition linéaire et continue d'ADN aux génomes. D'où des couches de nouveautés biochimiques et physiologiques déposées l'une au dessus de l'autre (...). Mais dans les années soixante-dix, des craquements commencèrent à fissurer le continu et à fracturer le linéaire (...) .

Dans la perspective nouvelle, la structure du monde vivant n'est plus linéaire et continue mais, bien au contraire, non linéaire et discontinue. Gènes et protéines ne sont plus des objets uniques, des idiosyncrasies* propres à une espèce. On retrouve des structures extrêmement voisines d'une espèce à une autre. Mieux, dans une espèce, on retrouve souvent des structures extrêmement voisines assurant des fonctions différentes .(...).

La part créative de l'évolution biochimique ne se fait pas à partir de rien. Elle consiste à faire du neuf avec du vieux. C'est ce que j'ai appelé ailleurs le « bricolage moléculaire ». Les premiers gènes ont dû se former à partir de courtes séquences de nucléotides, trente ou quarante. Ces segments se sont ensuite agrandis, soit en s'aboutant* les uns aux autres, soit en se dédoublant chacun une ou plusieurs fois. On retrouve, en effet, dans de nombreux gènes la trace de une, deux, trois et même plusieurs duplications successives suivies de diversifications plus ou moins importantes. La duplication soit de segments d'ADN, soit de gènes entiers paraît bien être l'un des grands modes de bricolage moléculaire. C'est par duplications successives que se sont formées les nombreuses familles de gènes comme ceux des hémoglobines(...).