L'œuvre de Mendel : discussion  

Le travail de Mendel est considéré à juste titre comme un exemple d'expérimentation; cependant certains aspects incitent à la discussion.
  1. Mendel était-il mendélien ? ↓
  2. Mendel est-il crédible ? ↓
  3. Pourquoi les travaux de Mendel ont-ils étés oubliés ? ↓
  4. TP; recherches sur les hybrides végétaux : extrait, complément; matériel

1 Mendel était-il mendélien ?

Comme le souligne A. Pichot(1) «Les facteurs mendéliens (particules sensées porter l'hérédité dans les gamètes) n'existent pas dans le texte de Mendel, ils ont étés inventés par ses commentateurs. Mendel parle en termes de gamètes, ovules et pollen, correspondant à tel ou tel caractère». Pour caractère, il utilise presque toujours le mot allemand Merkmale, que l'on peut traduire sans ambigüité par apparence. Ce mot est associé aux lettres utilisées dans son modèle mathématique (A, a, etc.), ainsi qu'aux adjectifs dominants et récessifs, là où nous utiliserions aujourd'hui l'idée de déterminant, c'est à dire le mot allèle. Quand à l'adjectif dominant, il serait plutôt à abandonner, et surtout pas à associer, comme il est souvent fait aujourd'hui abusivement à un des allèles.

Mendel est extrêmement prudent dans ses formulations, ce n'est que dans sa conclusion qu'il se risque à parler d'éléments cellulaires : differirenden Zelleleunente, capables de combinaisons durables (s'il sont identiques) ou passagères (s'il sont différents) «les éléments différentiels ne parviennent à sortir de la combinaison qui leur est imposée qu'au moment de la formation des cellules sexuelles. Tous les éléments présents concourent à la formation de ces cellules par un groupement absolument spontané et uniforme, dans lequel seuls les éléments différentiels s'excluent réciproquement».

En inférer comme E. Mayr (2) que Mendel postulait l'existence dans les gamètes d'un seul déterminant héréditaire expliquant les proportions 3:1 est sans doute aller trop loin; les manuscripts de Mendel ayant été brûlés peu après sa mort, la réponse ne sera sans doute jamais connue. S'il faut les comparer à quelque chose, les éléments cellulaires de Mendel ressemblent fortement aux gemmules de Darwin, mis à part que Mendel est beaucoup moins porté aux développements spéculatifs et que leur transmission statistique est caractérisée de manière bien plus précise.

D'une façon générale, Mendel donne l'image d'un réaliste plus que celle d'un idéaliste : sa théorisation découle des faits expérimentaux, elle tient dans une formule mathématique et dans une définition extrêmement concise : «- la moitié des descendants des hybrides de chaque couple de caractères différentiels est également hybride ; - l'autre moitié est constante, elle se divise en deux groupes égaux possédant, l'un le caractère de la plante femelle, l'autre celui de la plante mâle». C'est plus un modèle prédictif qu'explicatif. C'est un modèle rigoureux, mais contraignant (et donc difficile à accepter). En citant encore A. Pichot(1) «Les résultats de Mendel ont acquis une légitimité grâce à une théorie ultérieure qui les reprenait et les réinterprétaient, leur donnant ainsi le sens qui leur manquait au moment de leur invention».

Comme Darwin, Mendel tient une place centrale dans la construction des connaissances scientifiques. La théorie mendélienne résulte des résultats de Mendel, mais surtout des réinterprétations et remaniements successif dus aux interactions avec les champs de connaissances qui lui sont voisins. Ainsi, le modèle actuel de l'hérédité, pourtant issu du mémoire de Mendel est bien différent de ce qu'il était pour Mendel lui-même.

Les apports de Mendel : Les principaux compléments au modèle mendélien :

2 Mendel est-il crédible ?

Certains historiens des sciences ont mis en doute l'honnêteté des travaux de Mendel. Outre que ces remarques ne s'accordent pas au caractère modeste de Mendel, certains détails cités (reliés par exemple à la vigueur hybride et dépourvus de sens à l'époque) prouvent à eux seuls la réalité des travaux(3).

Un des principaux points d'interrogation concerne cependant l'absence de toute liaison entre les couples de caractères étudiés. Le Pois présente 7 paires de chromosomes, Mendel choisi 7 couples de caractères, les gènes correspondants ne sont pas tous localisés sur des chromosomes différents, 3 sont sur le chromosome 4 et deux sur le chromosome 1, mais ils sont suffisamment éloignés pour se comporter comme des gènes indépendants; quelle chance ! (4)

caractère Phenotype Allèles Chromosome
Forme de la graine [lisse] / [rugeuse] r+ / r- 7
Couleur des cotylédons [jaune] / [vert] i+ / i- 1
Couleur de la cosse [vert] / [jaune] gp+ / gp- 5
Aspect de la cosse [renflée] / [étroite] v+ / v- 4
Couleur de la fleur [pourpre] / [blanche] a+ / a- 1
Position des fleurs [axiale] / [terminale] fa+ / fa- 4
Taille des plants [grand] / [nain] le+ / le-
(l'allèle muté code un acide gibbéréllique inactif)
4

Il se peut que Mendel ait délaissé les résultats de croisements impliquant des gènes liés, faute de pouvoir les interpréter dans le cadre de son modèle mathématique. Cependant ce point de vue est très discuté par les historiens des sciences : non seulement la seconde "loi de Mendel" (celle de la ségrégation indépendante des couples de caractères), n'a jamais été formulée par Mendel, mais il insiste peu sur cet aspect des choses et il indique même plus tard avoir trouvé chez Hieracium une absence de ségrégation !

3 Pourquoi les travaux de Mendel ont-ils étés oubliés ?

  1. Les résultats de Mendel montrent que les caractères différentiels ne s'assemblent que temporairement. Ainsi l'hybridation ne permet pas l'apparition de caractères nouveaux et encore moins de nouvelles espèces. C'est l'inverse de ce que ses contemporains attendaient ! En l'absence d'un mécanisme créateur de diversité (la mutation n'est pas connue), les résultats de Mendel ne peuvent que servir d'arguments aux opposants à la théorie darwienne de l'évolution (3).
  2. Les contemporains de Mendel, comme Nägeli, recherchent une théorie physico-chimique, un support physique de l'hérédité alors que l'expérimentation de Mendel fait peu appel à la théorisation, et se passe de tout support matériel.

 Références

(1) Pichot A.. 1999. Histoire de la notion de gène. Flammarion, Paris : 30.
(2) Mayr E.. 982. The Growth of biological Thought. Haward university Press. trad. Blanc M.. 1989. Histoire de la biologie. Fayard, Paris : 663.
(3) Lönnig W-E.. 2001. Johann gregor Mendel : Why his discoveries were ignored for 35 (72) years (72). www.mpiz-koeln.mpg.de/~loennig/mendel/mendel02.htm
(4) Kimball J.. 2003. Kimball's Biology Pages users.rcn.com/jkimball.ma.ultranet/BiologyPages/L/Linkage.html
Allchin D.. Mendel and Mendelian Genetics. www1.umn.edu/ships/updates/mendel.htm
Mendel J.. 1865. Versuche über Pflanzenhybriden. www.biologie.uni-hamburg.de/b-online/d08_mend/mendel.htm
trad. Chappellier A.. 1907. Recherches sur les hybrides végétaux . Bulletin Scientifique de la France et de la Belgique, t. 41 : pp. 371-419. www.unil.ch/lpc/docs/pdf/mendel.pdf
Piquemal J.. 1993. Essais et leçons d'histoire de la médecine et de la biologie. Paris, PUF.
Rumelhard G.. 1986. La génétique et ses représentations dans l'enseignement. Peter Lang, Berne.
Serre J.-L.. 1984. La genèse de l'oeuvre de Mendel. La recherche 158 : 1074-1075.

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